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le Blog du Migrant
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2 avril 2008

Décrypter les différents extrémismes

Décrypter les différents extrémismes
Felice DASSETTO

Mis en ligne le 02/04/2008
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Se mélangent plusieurs raisons. Le calcul d'intérêts électoraux, pour les uns. Le refus de mettre en question ses propres évidences, pour les autres.


Cet article provient de http://www.lalibre.be

Drapeaux brûlés, portraits brandis, dessins devenus icônes négatives pour les uns ou positives pour les autres, images exaltées, films diffusés à grand renfort médiatique, livres, pamphlets ou prédicateurs enflammés. Ce sont autant d'expressions de formes extrémistes, radicales, en faveur ou contre l'islam. Dernier épisode : Fitna de Geert Wilders.

Prendre parti pour ou contre des positions extrémistes ne suffit pas. Il est important de conduire une analyse des extrémismes pour mieux éclairer la nature et l'efficacité politique de ceux-ci; car les extrémismes sont des phénomènes récurrents de la vie sociale et politique.

A la base des extrémismes, il y a le refus de se reconnaître dans les règles institutionnelles, politiques, culturelles d'une collectivité, et parfois de vouloir imposer une autre vue. L'extrémisme peut être le fait de groupes relativement marginaux, mais parfois aussi d'instances plus centrales, groupes, Etats. Les Etats-Unis d'Amérique, après l'acte extrémiste du 11 septembre, se sont embarqués dans une spirale extrémiste, bien regrettée aujourd'hui. L'extrémisme peut concerner l'économie (il y a eu un extrémisme économique communiste comme il y a un extrémisme économique libéral). Il peut se nourrir des idéologies politiques, culturelles (comme les extrémismes nationalistes). Il peut s'alimenter à la pensée religieuse ou athéiste.

Mais pour que la volonté de se démarquer de l'existant, ou de vouloir le modifier, se transforme en extrémisme, il faut d'autres ingrédients. Il faut aussi que l'action soit conçue en terme d'alternative radicale, du tout ou rien, du blanc ou du noir. Il faut en somme une vision manichéenne du monde. Assortie du refus d'un changement graduel et d'une possible réforme. L'extrémisme privilégie l'action sous le mode de la séparation, de l'affrontement total, de l'élimination, sous une forme quelconque, de l'autre ou tout au moins de sa pensée et de ses possibilités d'action.

Pour que la pensée extrémiste soit prenante, il faut que l'autre, ou les autres, - celui ou ceux qui ne pensent pas comme moi - soient construits de manière négative, qu'ils soient l'expression par excellence de l'ignorance, du mal, du fourvoiement alors qu'on pense soi-même comme la vérité, le bien, la voie juste. Les premiers sont à refuser totalement. Il importe de ne pas établir avec eux une relation quelconque, car on ne peut qu'en sortir contaminé et favoriser la dégradation du monde.

Et toutes les procédures rhétoriques peuvent être utilisées pour construire l'autre comme tel. Il importe alors que les extrémismes puissent s'appuyer sur des penseurs, sur des faiseurs d'idées, sur des gens qui lancent en premier un tel regard et l'alimentent.

Le radicalisme apparaît aussi comme une voie de quête d'identité d'un groupe à travers l'affirmation d'absolus ou d'objectifs non négociables : tel modèle de société à construire ou auquel revenir, tel ennemi à abattre.

Les extrémismes de marque islamique ont été assez largement étudiés par les sociologues et les politologues et décrits par des journalistes. Les filiations historiques et intellectuelles ont été identifiées; les processus par lesquels des individus et des groupes passent au radicalisme, et de celui-ci à l'action violente ont été étudiés.

Moins étudiés l'ont été les radicalismes qui ont comme cible, comme adversaire, l'islam ou des acteurs musulmans. On les dénonce souvent en terme d'islamophobie, parfois sur base d'analyses insuffisamment fondées et farcies de jugements moraux. Mais ces dénonciations, satisfaisantes peut-être pour ceux qui les proclament, ne favorisent pas beaucoup la lucidité de l'analyse des raisons, des filiations, des mécanismes qui sous-tendent ces attitudes. Qu'est-ce qui amène les gens de la Lega Nord italienne à adopter une attitude tellement outrancière contre les musulmans et à utiliser l'injure, la provocation comme regard systématiquement posé sur l'islam ? Qu'est-ce qui amène des intellectuels à faire des fixations contre telle ou telle personne ou pensée, envers et contre tout, même si les faits démentent la réalité.

Se mélangent plusieurs raisons. Le calcul d'intérêts électoraux pour les uns. Le refus de mettre en question ses propres évidences pour les autres. Comme le fait d'admettre que les sociétés européennes ne sont plus celles d'il y a quarante ans, lorsqu'on était "entre nous". Ou bien le refus d'admettre que les religions (dont l'islam apparaît à tort ou à raison comme le fer de lance), semblent revenir sur la scène comme demande de sens. Ce que certains considèrent comme dramatique, car ils se sont battus contre elles, parce qu'ils les considèrent par essence comme l'expression de l'obscurantisme absolu. Alors que, hélas, personne n'est à l'abri de cela, même les porteurs d'une pensée non religieuse, et pour autant, pas nécessairement libre.

Pour d'autres encore, l'extrémisme s'alimente à l'ignorance ou à la connaissance réduite à quelques grands stéréotypes, qui sont renforcés par une médiatisation contrainte de résumer et de faire bref. L'émergence, l'amplification des positions extrémistes a au moins trois conséquences. On les voit bien à l'oeuvre dans le cas des débats autour de l'islam.

Par la virulence de son propos, par son évidence, par son activisme, l'extrémisme établit l'agenda du devenir d'un groupe. L'agenda, c'est-à-dire les questions qui s'imposent comme importantes, les rythmes du devenir, les positionnements à entreprendre. C'est ainsi que le radicalisme islamique, malgré les positions bien contraires d'une grande partie des musulmans européens et du monde, a donné depuis trente ans le tempo du devenir de l'islam mondial. L'extrémisme du Front National en France ou du Vlaams Belang a donné le ton à l'expression d'un mal-être des populations françaises ou flamandes.

Deuxièmement, l'extrémisme engendre une spirale extrémiste : à extrémisme, extrémisme et demi. Chacun y va de sa surenchère, aussi parce que chacun fait de la réponse à l'extrémisme un enjeu pour sa propre identité. L'extrémisme poussant même ceux d'en face à prendre des positions parfois au-delà de leurs pensées. L'extrémisme musulman, avec ses affirmations et ses actions virulentes, amène à des réactions opposées, à des replis, à des résistances. L'extrémisme antimusulman pousse les musulmans à des réactions de défense. Le ton extrémiste des controverses expulse la rationalité, l'argumentation de la vie collective. Et ceci, d'autant plus, dans le cas des religions ou d'autres enjeux qui se jouent autour du devenir des esprits et des mentalités; car idéaux, espoirs, aspirations peuvent être projetés hors du quotidien et du vécu immédiat.

Troisièmement, la spirale extrémiste ne fait que susciter l'affrontement des idées, l'échange d'injures et de condamnations. L'extrémisme rend impossible tout débat de fond. Alors qu'en ce qui concerne le devenir de l'islam et des sociétés européennes, qui sont désormais également musulmanes, les objets des débats, des controverses sont nombreux et touchent pas mal de pans de la vie sociale et de la culture.

La spirale extrémiste rend difficile la vie collective, la cohabitation. Ceci dit, sans rêver pour autant à une société qui pourrait devenir totalement équilibrée, incarnation de la vertu du juste milieu car toute société est traversée par des conflits. Mais le propre des sociétés humaines avancées est de parvenir à trouver, tant bien que mal, des lieux de régulation, donc de rationalité en dehors des spirales extrémistes.

La lutte contre les extrémismes de tous bords, passe moins par leur condamnation absolue, qui ne fait pour finir que se situer sur le même terrain, que par l'invention intelligente d'autres terrains. Il importe de dépasser par le haut les controverses extrémistes. En l'occurrence un travail de fond, de débat, d'approfondissement, sans concession, sans lénifiantes intentions de dialogue, mais dans la volonté de clarification, d'introduire de la connaissance et du rationnel. Afin de mettre en place d'autres agendas que ceux extrémistes. Même si ces débats font moins recette, moins d'audience, font vendre moins de livres et de journaux que les positions des extrémistes, qui, à l'ère des médias, ils ont compris qu'ils ont tout avantage à se donner à voir et à se montrer.

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